Dominique dubosc
œuvre argentique
Patrimoine cinématographique élargi, d'œuvres nécessaires, d'engagements hors pair, de regards voués au cinéma là où celui-ci nous change, car, comme disait Téo Hernández, "le cinéma est un moyen du soi (...), il faut tout être, et devenir image, fauve, eau, nuit, silence, mort ". Cette collection en cours commence ainsi avec la trilogie latino-américaine de Dominique Dubosc, Kuarahy Ohecha, Manojhara et Los días de nuestra muerte, pour approfondir peu à peu l'ensemble de son œuvre tournée en pellicule.
Kuarahy Ohecha
16 mm – N & B – 23' 47''– France 1968
Réalisation : Dominique Dubosc
Voilà, fin 66 je pars faire mon service militaire dans la Coopération. Après la guerre d’Algérie, il n’était pas question évidemment que je fasse l’armée. Comme mon beau-père avait le bras long, ça n’a pas été difficile de me faire envoyer à Asunción (Paraguay), comme professeur d’ethnologie. C’est là que j’ai appris à peu près tout ce que je sais sur la question : je lisais les manuels classiques d’anthropologie sociale anglo-saxonne (Linton, Herskovits, Malinowski, Mead…) et je les recrachais le lendemain en cours. Je n’ai jamais pensé pratiquer moi-même l’ethnologie, sauf dans la léproserie, où je me suis un peu servi des méthodes de base de l’enquête ethnographique. [...] J’ai passé toute l’année 1967 à Asuncion, prof. J’ai été libéré, comme on dit, en janvier 68. Et là, au lieu de rentrer, j’ai été faire un film sur une famille de paysans pauvres dans la zone orientale du Paraguay, avec une petite caméra 16mm et une douzaine de bobines de film, c’est-à-dire un peu plus de trente minutes.
Entretien avec Dominique Dubosc, par Christine Martin. LA LETTRE DU CINÉMA No. 28
Manojhara (La région de la mort)
16 mm – N & B – 20' 30''– France 1968
Réalisation : Dominique Dubosc
"Le plus simple, peut-être, est de partir du film où j’ai expérimenté ou ressenti le plus cette “cruauté de l’observation” et cette “tendresse du regard”, bien que cette formulation me soit venue bien plus tard. Il s’agit de Manojhara, mon second film, réalisé au Paraguay en 1969. C’est une description, par petites touches ou petites scènes – déjà – de la léproserie Santa Isabel. J’y ai appris la cruauté de l’observation parce que les lépreux ou les internés pratiquaient cette “cruauté” en quelque sorte par nécessité. Le plus grand danger, en effet, pour ces hommes et ces femmes venus à la léproserie au bout du rouleau, quand ils ne pouvaient plus cacher leur maladie et qu’ils étaient complètement rejetés par la société, est l’illusion que tout pourrait s’arranger : qu’ils pourraient retourner chez eux, dans ce qu’ils appellent “le grand monde”, c’est-à-dire le monde extérieur. Cette illusion doit être combattue à tout prix, y compris par une “cruauté de l’observation”, qui se traduit notamment par les blagues qu’on entend tout au long du film, par toute une auto-dérision permanente et salutaire. Un des lépreux – je crois qu’il s’appelait Victor Salsa – me disait : “Il y a deux illusions : l’illusion qui nie la réalité (et qui est mauvaise) – et l’illusion qui se fonde sur la réalité”. Cette pensée, parfaitement conradienne, a dû faire son chemin en moi, car mon film raconte en fait, entre cruauté et tendresse, le passage de la “mauvaise illusion” à la “bonne”."
Entretien avec Dominique Dubosc, par Christine Martin. LA LETTRE DU CINÉMA No. 28
Los días de nuestra muerte
16 mm – N & B – 16' 31''– France 1968
Réalisation : Dominique Dubosc
"J’ai
décidé de quitter la Bolivie précipitamment, en confiant mes rushes à
Jacques Darthuys, qui était alors notre Attaché culturel à La Paz. Le
même Darthuys qui a fondé ensuite les Ateliers Varan et qui a été tué au
Brésil. Les boîtes sont arrivées à Paris par la valise diplomatique et
j’ai pu ainsi monter le film – amputé des scènes d’horreur du massacre
(des photos d’archives), que je ne savais pas comment “décaler” – avec
les rédactions d’enfants de mineurs, que j’avais également pu sauver. Un
ou deux ans plus tard, je dîne, rue du Château, avec Philippe
Labreveux, Marcel Niedergang (responsable de l’Amérique latine au Monde)
et un dirigeant de la COB (la Corporation Ouvrière Bolivienne), à qui
je confie une copie 16mm du film, comme on jette une bouteille à la mer… Les
années passent. Le général Ovando succède à son vieux complice
Barrientos (après l’avoir assassiné), puis Banzer fait son coup… et
finalement Paz Estenssoro (le vieux leader de la Révolution de 1952)
revient au pouvoir. Jacques
Darthuys est à La Paz le soir de la victoire électorale. Je le revois à
Paris quelques semaines plus tard et il me raconte que, dans un cinéma
de la ville, le soir de la victoire, se projetait une vieille copie
toute rayée d’un film qui avait circulé dans la clandestinité : Les jours de notre mort. L’histoire est presque trop belle pour être vraie… "
Entretien avec Dominique Dubosc, par Christine Martin. LA LETTRE DU CINÉMA No. 28